MON ROMAN EPISODE 8

Publié le par Un autre Fred

Je me souviens de leur odeur: De celle de leur appartement. De mes propres vêtements imprégnés de leur lessive, de leur cuisine, de leurs miasmes. Je me souviens de leur haleine de bouffeurs de viande, de leurs gueules de bois le dimanche matin à la chapelle. Je me souviens de ma peur à l'approche du week-end, quand ils n'avaient rien d'autre à faire que de s'intéresser à moi de plus prés. Ma peur était à la hauteur Prégnante, sale, incontrôlable. J'ai pissé dans mon pantalon jusqu'à l'âge de sept ans. Ils m'ont appris la honte et la contrition. Mon lit sentait l'urine, surtout l'été. Un jour que j'avais voulu changer le drap, ils m'avaient surpris dans le couloir; petit garçon pâle agrippé au bout de sa traîne blanche malodorante, et ils avaient halé le drap vers eux, lentement, pour m'attraper et me jeter sous la douche. La peur, encore, l'eau brûlante et les mains brutales. Les larmes, aussi dures que des perles, tombant sur la faïence et filon vers la bonde noire. Je me souviens trop bien. J'ai une mémoire infernale. Je sens sur lui Ici vanille brûlée et sur elle, le citron rance. Je me souviens. De tout.

 

C'est une femme. Des gestes imprévisibles. Grande. Sèche et dangereuse. Un harpon. Est-ce que c'est plus facile quand on a une tête aussi mauvaise ? La question a traversé son esprit juste une seconde. Il ne finit pas penser quand on a si peu de temps pour agit: Heureusement qu'elle habite un hameau qui s'éteint dès la nuit tombée. A six heures, c'est un four tellement l'endroit est noir, sa maison, un pavé de fonte posé où la sortie du village. Cinq baraques brunes aux volets clos sur des champs rasés. Il y a bien des chiens qui toussent au bout de leur chaîne, mais il ne les craint pas. Un sifflement a suffi à les coucher Il a garé sa voiture derrière la grange en contrebas, la laissant descendre, moteur coupé, dans le sentier qui rejoint la départementale. À six heures trente précises, tous les soirs que Dieu fait, elle va jeter une gamelle grasse au mastiff qui somnole. Quand elle pousse sa porte, il l'assomme sur le seuil, d'un coup à étendre un bœuf. Ses bras de sauterelle lui battent les côtes tandis qu'il la soulève jusqu'à la voiture. D'abord, la museler au chatterton, triple tour La veuve est toute en nerfs. Puis les jambes, les poignets, les chevilles, avec de la cordelette plastique qu'il noue en croix et serre au maximum. Elle attendra sur le siège du passager Avant de partir, il a caressé le chien qui a aimé la viande, referma la porte de la maison et éteint les lumières. Inutile de mettre en scène quoi que ce soit. Demain, les voisins viendront cogner aux volets s'ils ne sont pas ouverts à sept heures. A trois kilomètres de là, le viaduc du Rhône. En dessous, un gouffre. La portière avant droite s'ouvre sur le visage carré que la peur a creusé. La tirer de là est une épreuve il le savait. Elle résiste, ruant et bavant sous le bâillon comme si se terrer dans la voiture pouvait empêcher quelque chose. Alors il la frappe à la tempe. Qu'elle se tienne tranquille, la vieille garce. Juste le temps de l'extraire et de la traîner contre la rambarde. On voit venir sur le chemin des collines une paire de phares blancs qui cisaillent les bois. Il comprend qu'il ne peut tarder Il n'aura pas le temps de la marquer au feu du cigare. La veuve Dupom est trop forte, ses yeux disent déjà toute la haine qui la tient vivante. Dommage. Celle-là méritait un lin théâtral, un saut de l'ange qui vaille la scène. Car le ciel s'est ouvert sur la lune, les ravines ont scintillé là où les sources polissent la pierre, des nuages lourds passent en convois sous l'astre lavé ; c'est beau à pleurer Et avec la veuve raidie au bord du pont, dans sa blouse claire, on dirait du Shakespeare. Il dit simplement « adieu », et il pousse la femme dans le vide. Requiescat. Et de trois.

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